Je la vis partir, seule, sur la route braisée. Le souffle ardent, le cœur palpitant, je serrais sous mon regard la mémoire de cet instant. Dix ans que nous avions échangé cette promesse de nous retrouver à l’ombre du grand saule. J’avais fait la route depuis nos fondations pour atteindre l’arbre rabougri. Nous avions été étonnées de le voir encore debout. Après le cataclysme des marées emboutantes, une grande partie de la végétation avait disparu, engloutie par ces mois d’immersion sous les eaux et dans la vase. L’autre partie s’était retrouvée altérée par les déchets plastiques radio-ondulants et avait péri quelques temps après le retrait des marées. Le 10 juillet 2042, quand nous avions pris la décision de nous séparer pour explorer les possibles, soit 3 mois exactement après la sortie des eaux de notre refuge, nous avions choisi cet arbre comme repère pour nous retrouver en 2052. Allait-elle venir ? Qu’en était-il de sa santé ? Avait-elle aussi trouvé des vestiges du passé et des raisons d’espérer ?
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Le soleil tapait dru, en rafale dystopique, sur l’enclume que je lui présentai. Une radiation vint produire un éclair et un éclat de printemps jaillit devant mes yeux. Je le savais, quelque chose ne tournait pas rond ces derniers jours dans les expériences. La salle de confinement où je me livrais à mes recherches depuis maintenant huit ans avait vu un tas de bizarrerie et d'aberrations surnaturelles. Mais celles-ci avaient un caractère différent. Je le sentais, mon intuition ne me trompait pas, j’approchais d’un résultat.
Folle de joie, excitée de partager mes progrès et mon pressentiment, je me débarbouillais à la hâte le visage. Les ongles encore encrassés de terre et de restes d’émulsion végétale, je me mis à chercher Xing Duong. Elle seule pourrait comprendre l’ampleur de mon excitation. Elle avait suivi avec finesse les avancements de mes travaux, avait écouté à chaque fois mes doutes et découragements.
Aujourd’hui, je pouvais lui affirmer, il était possible de recréer les conditions du printemps.
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Je touchais l’arbre. Des bourgeons pointaient timidement sur le tronc noueux. La vie ne l'avait pas complètement quitté. J’en souris et me vinrent en images ces petits bonheurs qui devenaient de plus en plus fréquents ; de la mousse et quelques plantes vivaces qui réapparaissaient autour de la fondation. Des petits insectes et rongeurs, morts depuis longtemps, qui refaisaient surfaces. Nous avions avec mes compagnons reproduit sur ces dix dernières années des conditions artificielles pour nous alimenter. Nous avions été bouleversés quand les premières signes du printemps s’étaient manifestés il y a deux ans alors que nous croyons la nature sauvage disparue.
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Xing Duong m’avait alors assistée plus fréquemment pour re.tester, amplifier et dupliquer ce résultat. La vie que nous avions cru anéantie dans ces formes végétales, animales et minérales, jaillissait à nouveau. L’énergie de tout un chacun s’était focalisée sur cette tâche tenue, faciliter l’éclosion de la nature sous forme naturelle. Dans notre laboratoire en ruine, toutes les équipes avaient observés mes résultats, écouté mes hypothèses et s’étaient mises en recherche dans ma direction. Mon cœur me l’affirmait, pendant huit ans, l’énergie vitale de la Terre s’était recroquevillée dans son antre, au fin fond des couches magmatiques. Et elle émergeait à nouveau. Pourquoi ?
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Je la vis au loin sur la plaine déserte. Une silhouette se détachant sur la ligne d’horizon. Mon cœur s’accéléra. Je me contraignis à la patience et m'assis pour attendre. Sa démarche était ample, j’avais l’impression de reconnaître mon amie tout en percevant un changement chez elle.
- Bonjour Eléna !
- Bonjour Sokuna, entendis-je en retour. Je suis si heureuse de te retrouver. Si heureuse...
Et elle fondit en larmes dans mes bras. Notre étreinte fut longue et quand nous nous séparâmes, ses yeux embrumés se posèrent sur mon ….. avec étonnement.
- Je ne comprends pas. Je te vois comme si je t’avais quitté hier. Ton corps n’a pas changé, tu as l’air d'avoir encore 15 ans comme le jour où nous nous sommes quittées.
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Je m’attendais à aborder ce sujet dès nos retrouvailles et avec un sourire apaisant, je lui souffla “C’est l’effet du printemps, je vais t’expliquer”.
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